Les pointes

Les pointes constituent un élément technique et artistique fondamental pour la danseuse classique. Cet outil de travail historique témoigne de tout un art du mouvement et du développement d’une technique particulière, toujours réutilisée et réemployée dans la danse contemporaine.

 

Rudolf Noureev et Ghislaine Thesmar dans La Sylphide, ballet de Pierre Lacotte d'après Taglioni, costumes de Michel Fresnay d’après Eugène Lami. Opéra national de Paris, Palais Garnier, 1972.
Coll. CNCS © Francette Levieux
 
 

Les premières pointes ne sont pas les mêmes que celles que nous connaissons aujourd’hui. Moins rigides, elles étaient plus proches du chausson « demi-pointe » que de la pointe.

 

Rudolf Noureev en demi-pointes, dans Apollon Musagète de George Balanchine, musique d’Igor Stravinsky. Paris, Palais des Sports, 1974.
Coll. CNCS, don de la Fondation Rudolf Noureev. PH-RN-T.36 © Francette Levieux 
 

Le chausson de danse était alors renforcé à son bout par une surpiqûre épaisse, qui venait le rigidifier et le solidifier. Ce type de technique de montage permettait aux danseuses de tenir plus longtemps leur équilibre, tout en allongeant leur silhouette, offrant aux spectateurs la vision de corps qui semblent flotter sur la scène. La danseuse gagne ainsi en hauteur et en finesse de mouvements.

L’apparition des pointes aux pieds des danseuses est progressive. Les premières pointes seraient attribuées à la danseuse italienne Amalia Brugnoli (1802-1892) aux alentours de 1823, à Milan. En 1832, la performance de Marie Taglioni (1804-1884) dans La Sylphide marque les esprits, car elle y danse le ballet entier sur pointes. Quelques années avant cela, en France, des danseuses comme Geneviève Gosselin (1791-1818), portaient déjà des chaussons renforcés qui peuvent être assimilé aux pointes. Celles-ci seraient donc arrivées progressivement, et conjointement de France et d’Italie, pour gagner petit à petit le reste des scènes européennes.

Estampe représentant Marie Taglioni en costume. Date d’édition 1830-1839. Bibliothèque nationale de France, département Musique, Est.TaglioniM.014
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Symbolisant une forme de grâce et une certaine idée de la femme — fragile et éthérée — portée par la danse classique, les pointes rentrent dans le vestiaire féminin sous forme de « ballerines » grâce à Rose Repetto (1907-1984), mère du danseur Roland Petit (1924-2011). Rose Repetto ouvre sa maison de fabrication de chaussons de danse en 1947, sur les conseils de son fils. Elle s’installe dans le quartier de l’Opéra de Paris. Par la suite, elle élargira ses créations à la fabrication de chaussures de ville. Elle créera aussi pour Brigitte Bardot le modèle « Cendrillon », qui deviendra iconique en 1956 grâce au film Et dieu créa la femme de Roger Vadim.

La maison Repetto continue d’évoluer avec son temps en collaborant avec des créateurs comme Issey Miyake ou Comme des Garçons. Elle ouvrira même sa propre école de formation en Dordogne, pour y former les ouvriers de la marque à la technique du « cousu retourné », spécifique aux ballerines Repetto.

Il existe aujourd’hui de nombreux fournisseurs de chaussons de danse et de pointes : Capezio, Grishko, Merlet, Sansha, Degas, Gaynor Minden, Wear Moi, Swan, Stanlowa etc., ce qui permet aux danseurs et aux danseuses de trouver le chausson le plus adapté à leurs besoins physiques et esthétiques.

Une paire de pointes coûte en moyenne soixante euros et une danseuse étoile peut en utiliser deux à trois paires par représentations. Ce coût peut être pris en charge en partie par la structure, comme à l’Opéra de Paris, où chaque danseuse reçoit un financement (un « bon ») pour ses paires de chaussons en fonction de son grade et de son nombre de représentation. Sinon, les pointes peuvent être prise en charge par un mécène ou rester à la charge de la danseuse.

Les pointes contemporaines n’ont plus rien à voir avec les pointes souples du XIXe siècle. Aujourd’hui, elles sont faites de sorte que les danseuses puissent réellement tenir sur les chaussons grâce à la « boîte » qui se trouve à leur extrémité.

La « boite » est composée d’une coque semi-rigide — anciennement en carton, aujourd’hui en matériaux composites — qui enveloppe le bout du pied. Le chausson lui-même est fait de toile de chanvre collée, recouverte de satin, et d’une semelle en cuir.

 

Lot de trente paires de pointes et chaussons de danse, signés par les danseuses et danseurs Noëlla Pontois (1943-), Violette Verdy (1933-2016), Wilfride Piollet (1943-2015), Michaël Denard (1944-), etc. 
Coll. CNCS / dépôt du Centre National de la danse. D-CND-2022.1.2 © CNCS / Pascal François
 

Les pointes doivent être suffisamment dures pour supporter le poids du corps, mais conserver assez de souplesse pour que la ballerine puisse « sentir » le sol sous ses pieds. Les orteils doivent être maintenus sans être écrasés et le talon doit rester en contact avec le chausson tout au long des mouvements.

La danseuse « prépare » ses nouvelles pointes en cousant les élastiques antidérapants et les rubans (qui ne sont pas cousus lors de la fabrication). Cela permet davantage de flexibilité et d’adaptabilité aux danseuses, en fonction de la forme de leurs pieds et du rôle qu’elles interprètent. Elles piquent également le tour extérieur du bout de la boite, pour améliorer leur adhérence au sol et limiter l’usure.

 

Détails de coutures et de renfort sur le devant et le bout d’un chausson de danse. 
Coll. CNCS / dépôt du Centre National de la danse. D-CND-2022.1.2 © CNCS / Pascal François

Les ballerines doivent ensuite assouplir leurs pointes, souvent assez inconfortables et rigides à la sortie de fabrication, et sans distinction de pied droit ou gauche. Chaque danseuse a sa méthode, qu’elle adapte en fonction de ses besoins et de ses pieds : certaines assouplissent par exemple le chausson en utilisant un peu d’eau, ou bien décollent et coupent la semelle en cuir.

 Détails des renforts et des coupes dans les semelles de cuir. Paire de pointes de danse en satin de soie rose et cuir ayant appartenue à Serge Lifar (1905-1986), étoile de l’Opéra national de Paris et chorégraphe. 
Coll. CNCS / Don Dancoisne-Martineau. CNCS-2022.14.3.1 © CNCS
 

Pour protéger leurs pieds à l’intérieur des chaussons, les ballerines utilisent du coton cardé (dans le fond des pointes), des embouts en silicone, en mousse ou en tissu, du sparadrap et des écarteurs d’orteil. L’objectif est toujours de limiter le frottement et l’écrasement des orteils contre la boîte. A la fin d’une représentation, les ballerines plongent leurs pieds et mollets dans des bacs d’eau froide et de glaçons, de manière à limiter les gonflements et les courbatures, pour ainsi récupérer plus vite.

L’histoire des pointes est étroitement liée à l’évolution esthétique et technique de la danse, des interprètes et des chorégraphes, comme Rudolf Noureev, Serge Lifar, Roland Petit, Anne Teresa de Keersmaecher, William Forsythe, Thierry Malandain, Angelin Prejlocaj, Marie-Agnès Gillot et bien d’autres. C’est un outil au service de la danseuse ou du danseur, dont l’utilisation est toujours au centre du travail de la ballerine, mais qui continue de conserver une influence dans la mode. Le Centre national du costume de scène se fait témoin de ces évolutions, en conservant dans ses réserves plusieurs sortes de chaussons de danse.

Paire de chaussons de danse portés par Rudolf Noureev. Coll. CNCS / don de la Fondation Rudolf Noureev. RN.2008.220
© CNCS / Pascal François
 
 

 Paire de pointes. Coll. CNCS / don Damien Hermellin (collection Serge Peretti). DHERM-2013.4.4.5
 © CNCS  
 
 

Détail d'une paire de pointes peintes portées dans Tricodex, spectacle créé et mis en scène par Philippe Decouflé, costumes Philippe Guillotel, décors Jean Rabasse. Opéra national de Lyon, 2003.
Coll. CNCS / don de l'Opéra national de Lyon. OPLYON-2021.12.6.3 © CNCS