La fraise

Introduction

La fraise est une sorte de collerette portée par les femmes et les hommes pendant la Renaissance, une période qui s’étend à peu près du XIVe au XVIe siècle en fonction des pays. Le terme « fraise » est issu de la fraise de veau, à laquelle elle ressemble. Cet accessoire est important pour les costumiers et les metteurs en scène car il évoque bien l’esthétique du costume de la Renaissance, son utilisation permet d’apporter de la substance historique au costume. Ainsi, le public peut rapidement replacer les personnages dans leur contexte historique.

Le Centre national du costume de scène, dont l’une des missions est de valoriser le savoir-faire et le patrimoine du costume, conserve de nombreuses fraises dans ses collections, qui illustrent un panel large de création et d’utilisation. Un échantillon est visible en bas de cette page.

 

Hernani, d’après Victor Hugo, mise en scène d’Antoine Vitez au Théâtre National de Chaillot en 1985. Création décors et costumes de Yannis Kokkos. Réalisation costumes par Mine Barral-Vergès. Détail du costume de Dona Sol porté par Jany Gastaldi.
Coll. CNCS / Théâtre national de Chaillot, CHAILLOT-2015.2.17.0 © CNCS / Florent Giffard

Contexte historique :

La longue période de la Renaissance est marquée par les conquêtes et les découvertes (techniques, scientifiques et géographiques). Les penseurs s’intéressent aux textes de littérature et de philosophie de l’Antiquité. Les artistes se détachent progressivement des codes de représentation et d’architecture médiévales au profit d’un art plus réaliste. Les œuvres d’art sont inspirées de l’art antique gréco-romain. C’est aussi une période marquée par des réformes politiques et religieuses sanglantes nées de l’opposition entre catholiques et protestants.

François Dubois (Amiens, 1529 - Genève, 1584) Le Massacre de la Saint-Barthélemy, vers 1572 - 1584. Huile sur bois, 94 x 154 cm. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts
Don de la Municipalité de Lausanne, 1862. inv.729
© Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

Les protestants se distinguent des catholiques par leurs habits. Tandis que les catholiques portent une mode de cours, faite de tissus luxueux, colorés et richement ornementés, les protestants rompent complètement avec cette vision de la mode comme démonstration de richesse et de pouvoir. Leurs tenues sont empreintes d’austérité : vêtements sombres, seuls les poignets de la chemise et la fraise restent blancs.

Hygiène et morale

C’est au XVe siècle qu’on observe une prise de conscience sur l’hygiène, bien qu’on considère surtout la propreté du visage et des mains. Le reste du corps est considéré propre lorsque le linge est blanc : pour se laver le corps, on change de linge. Le bain représente quant à lui un « danger ». En effet, la médecine de l’époque voulait que les maladies pénètrent par les pores de la peau : l’eau dilatant les pores, mieux vaut éviter les bains. La chemise devient alors l’élément témoin de la présence de la crasse : on la fait bouillir dans l’eau pour la faire blanchir à haute température.

C’est à cette période que le col de la chemise remonte au niveau du cou et ressort au niveau des poignets : révélant ainsi la netteté de son linge, on met en valeur la propreté de son corps et donc, de son âme. La chemise devient une pièce importante et coûteuse de la garde-robe.

L'arrivée de la fraise

C’est vers 1560 que les cols montants et les guimpes se transforment en fraise, une collerette qui se compose d’une succession de fronces ou de plis : les « godrons ». Contrairement aux cols montants, la fraise est un élément séparé de la chemise, qui est accroché par-dessus le vêtement.

 

Petite fraise tuyautée bordée d’un galon argenté. Costume d'Elizabeth dans Don Carlos, opéra en 5 actes composé par Giuseppe Verdi. Mise en scène de Margherita Wallmann. Décors et costumes de Jacques Dupont. Direction musicale de Pierre Dervaux. Opéra national de Paris, Palais Garnier, 1963.
Coll. CNCS / dépôt de l'Opéra national de Paris, D-ONP-63DC002 © CNCS / Pascal François

D’abord relativement courte et fine, la fraise va prendre de l’ampleur et de la hauteur en raison de l’influence du catholicisme, qui encourage le développement de la mode et de l’exubérance (en opposition avec la sobriété protestante). Pour rester blanches et conserver la forme des godrons, les fraises sont nettoyées à haute température, puis repassées et amidonnées. La fraise est aussi bien portée par les femmes que par les hommes issus de la bourgeoisie et de la noblesse. Le rang de la personne détermine la qualité des textiles et des ornements : les bourgeois portent des fraises rudimentaires, de chanvre, lin ou coton, tandis que la noblesse utilise des tissus précieux, notamment la dentelle.

Vers 1570, les catholiques continuent d’arborer des tenues luxueuses, se différenciant toujours plus de la mode sombre et sobre des protestants. Les fraises s’agrandissent et prennent progressivement de l’ampleur jusqu’aux années 1580, où l’on porte des fraises démesurées, appelées « fraises à plateau », dont la forme évoque un plateau ou une roue de charrette. On orne les fraises de dentelle, de bijoux ou de perles.

Vers le début des années 1590, les hommes recommencent progressivement à porter des fraises plus petites et des fraises à confusion (moins rigides, non empesées et bordées de dentelle), voire à délaisser la fraise au profit du « collet monté », un col dont le tissu est très tendu sur une armature de laiton. Pour les femmes, la fraise est devenue si large qu’elle devient une « collerette en éventail », s’ouvrant sur le décolleté.

Sous Louis XIII et avec l’aide de l’édit somptuaire de 1633, la mode perd petit à petit en exubérance et les fraises vont laisser place aux cols pour les hommes et aux décolletés ouverts pour les femmes. On préfère désormais des textiles aux couleurs plus sobres et unies et on allège les cols en diminuant considérablement l’utilisation de la dentelle.

Les réinventions de la fraise au théâtre

La fraise est un élément de costume qui permet aux costumiers et aux metteurs en scène de replacer l’action dans une époque donnée sans reproduire l’objet totalement fidèle à l’histoire. Finalement, la fraise est un marqueur historique mais aussi social : les fraises sont portées par la noblesse et la haute bourgeoisie. Une fraise plus ou moins imposante, plus ou moins riche, permettra de situer le personnage dans l’échelle sociale, quitte à jouer de cet accessoire jusqu’au ridicule. 

Au-delà du facteur historisant, la fraise est un élément du costume particulier, étrange, qui enserre la gorge et entoure le visage, c’est un objet lourd de sens. Les costumiers peuvent jouer avec sa forme, ses volumes et ses textures pour en détourner son sens et ainsi servir le propos de la scène ou les traits de personnalité d’un personnage. 

 
  
 Costume porté par Denise Gence pour le rôle de La première sorcière dans La tragédie de Macbeth. Texte français de Jean-Marie Desprats d'après William Shakespeare. Mise en scène de Jean-Pierre Vincent et Bernard Chartreux. Décors de Carlo Tommasi. Costumes de Thierry Mugler. Production Comédie-Française, Festival d'Avignon, 1985.
Coll. CNCS / dépôt de la Comédie-Française, D-CF-2234G © CNCS / Pascal François 

Ici, le costume de la sorcière de Macbeth est particulièrement évocateur du statut du personnage, avec une fraise qui n’est plus blanche mais noire. C’est un rôle qui n’est pas dans les codes de son époque, un personnage à la marge de la société dans laquelle il évolue. La fraise est très grande, avec une structure métallique, en forme de roue très rigide et épaisse. Elle vient entraver le jeu de la comédienne, qui porte déjà des bandages aux mains et autour de la tête, un corset sous une robe lourde dont les altérations qui donnent un effet de « brûlé » viennent entraver les mouvements des jambes. La fraise est un accessoire de jeu qui aide le comédien à se mettre dans la peau de son personnage.

Voir aussi le costume de Pascale Paume créé pour le rôle de Dick (porté par Serge Bagdassarian) dans La Règle du jeu mise en scène par Christiane Jatahy en 2017 à la Comédie-Française. 

La fraise dans les collections :